La production de la brique traditionnelle de Tozeur, outre son impact sur l'architecture des villes du Jérid, fait également partie de l'économie locale. Une certaine extension de cette activité est même prévue22.
Les briques sont fabriquées à partir de trois composants : deux-tiers d'argile blanche, un tiers d'argile rouge et de l'eau. La pâte obtenue étant très liquide, des cendres de palmes sont utilisées pour protéger les briques lors de leur séchage au soleil. Elles sont ensuite empilées par charges de 10 000 et cuites dans des fours verticaux ; le combustible utilisé est de la palme séchée, une énergie renouvelable abondamment disponible dans l'oasis. La couleur de la brique obtenue dépend de la durée de la cuisson et varie du rouge au vert en passant par le marron et le jaune sable qui est la couleur de référence.
Le secteur emploie une vingtaine de familles, les plans de développement insistant sur la nécessité de préserver l'utilisation de ces briques traditionnelles22 ; elles permettent notamment de substantielles économies en matière de climatisation23 par leurs propriétés mais aussi par leur disposition en relief sur les murs, qui diminuent l'absorption des rayons solaires.
Au début des années 1990, le gouvernement tunisien entreprend de développer le tourisme saharien. Une douzaine d'hôtels de grand standing voit alors le jour pour attirer des touristes par des séjours clés en main9. En mai 2008, la région incluant Tozeur, Nefta et Tamerza compte 41 unités hôtelières dont trois établissements cinq étoiles et a accueilli 338 000 visiteurs en 200710. Toutefois, selon Claude Llena, c'est la « minorité possédante et le capital touristique du Nord [qui] ont rapidement mis la main sur cette rente touristique au détriment de la population locale »9 ; le secteur n'engendre en effet que 2 500 emplois permanents et 5 000 emplois indirects.
C'est dans ce contexte que se situe l'aménagement d'unterrain de golf, le Golf des Oasis, inauguré en plein désert ennovembre 2006. Toujours selon Claude Llena, ce golf touche les abords de la palmeraie et puise dans lanappe phréatiquepour maintenir le gazon planté en plein désert9même si 90 % de la consommation en eau de la ville reste liée à l'agriculture10. Toutefois, d'après les sources institutionnelles, le golf est arrosé par de l'eau provenant du recyclage deseaux uséesdes établissements hôteliers ; une installation de relèvement et 15 kilomètres de conduites, installées en partie au fond de l'ouedqui passe au pied du golf, permettent cette récupération20. Par ailleurs, le golf a été installé sur des terrains pris sur le désert, sur la rive droite de l'oued, et ne touche pas à la palmeraie21 ; il interdit cependant l'accès des artisans de la briqueterie à unecarrièred'argilesituée dans son emprise, obligeant ceux-ci à faire venir de l'argile par camion.La durée moyenne du séjour des touristes reste faible ; certains l'expliquent par le fait qu'ils sont de passage dans le cadre de circuits organisés depuis les stations balnéaires du littoral10 alors que d'autres soutiennent que ce nombre limité s'explique par une orientation vers un tourisme haut de gamme. L'aéroport international de Tozeur-Nefta, mis en exploitation en 1980 et voué aux charters, n'atteint ainsi pas sa pleine capacité (86 000 passagers en 2007 sur une capacité de 400 000).
À l'entrée du golf, le parc du belvédère de Ras El Aïn (« Tête des sources » en arabe) est dédié au poète Abou el Kacem Chebbi, natif de Tozeur. Il est aussi appelé « parc des amoureux » car il est bordé de grandes plaques en céramique bilingues (arabe-français) portant des textes célébrant l'amour. Le rocher qui constitue son centre est en fait une construction artificielle de métal et d'argile.
La région de Tozeur continue de vivre essentiellement de son économie oasienne : l'agriculturereste l'activité maîtresse de la cité qui voit la moitié des 100 000 habitants de la région dépendre de ce secteur10. L'organisation agricole, autrefois centrée sur une utilisation raisonnable de l'eau, permettait une production maraîchère importante dans la palmeraie (salades, blettes, carottes,bananes, dattes, etc.)9 qui assurait l'autosuffisance de la population10. Dès le xive siècle, le plan d'irrigation au travers des seguia assurait gratuitement une répartition de l'eau mesurée par le gadous (sablier hydraulique)9, dont le nom vient du latincadus (clepsydre), lui-même émanant du greckados19.
La survie d'un tel terme depuis l'Antiquité montre à quel point la région de Tozeur a été le réceptacle de cultures méditerranéennes qui apportèrent leur savoir-faire en matière d'agriculture et de techniques d'irrigation relatives à l'environnement oasien. Depuis les plans d'irrigation et de fixation des nomades en vue de l'éducation des enfants des années 1990, l'agriculture s'est fortement développée. De nouvelles oasis ont été créées et les palmeraies existantes ont été développées ; la surface consacrée à la culture du palmier a doublé en vingt ans, entraînant un renouveau du secteur de l'agriculture en termes quantitatifs, qualitatif, et d'emplois associés. Le travail dans les palmeraies étant pour l'essentiel saisonnier (entretien, fécondation, récolte), il autorise en général une deuxième activité pour les ouvriers agricoles.
Cependant, selon Claude Llena dans son article de 2004, la situation des agriculteurs s'est fortement dégradée au xxe siècle car l'eau est « devenue un bien comme les autres » en devenant payante, l'arrosage se montant à 30 à 50 millimes par mètre cube pour un arrosage hebdomadaire10, conduisant nombre d'agriculteurs à travailler dans le secteur touristique9. Selon d'autres sources, le coût annuel de l'irrigation de 5 000 m2 de palmeraie équivaut à la production dattière de deux palmiers10.
La production annuelle de dattes se monte à 35 000 tonnes, dont 4 000 issues de l'agriculture biologique et les deux-tiers de la variété des deglet nour10 ; elle représente le tiers de la production nationale10. Les autorités cherchent également à développer la pratique de la culture à trois étages : maraîchage au sol, arbres fruitiers puis palmiers au-dessus10.
L'une des parties de la ville ancienne est construite en briques (valorisées aujourd'hui dans un but touristique) d'argile. Les maçons ont créé sur les façades des motifs en relief inspirés des tapis et de la calligraphie. Elles sont posées de façon à augmenter la surface du mur qui se trouve à l'ombre8. Les maisons de l'un des plus vieux quartiers de Tozeur (Ouled el-Hadef) sont ainsi dotées de cette architecture, ses petites ruelles (datant du xive siècle) formant un véritable labyrinthe.
La région connaît un peuplement ancien, notamment durant la civilisation préhistorique du capsien et, comme toute l'Afrique du Nord, s'appuie sur un fond berbère, même si la tradition locale ne le revendique pas : elle se positionne en effet sur une arabité qui fait le lien avec le prophète Mahomet11.
Au-delà, il ne reste que les témoignages de Pline l'Ancien, certes lyriques mais précieux, décrivant la beauté paradisiaque de l'endroit13. La ville devient un poste sur le limessaharien, sur la voie romaine allant de Gabès à Biskra, spécialisé dans le commerce des dattes mais aussi des esclaves. De l'influence chrétienne sous saint Augustin, il subsiste les vestiges d'une église reprise ensuite par la mosquée El Kasr, située à Bled al-Hadhar, et certains rites comme le Sidi Yuba qui consiste à baptiser les garçons avant lacirconcision8.
Jusqu'auxiie siècle, Tozeur est un centre culturel florissant accueillant de nombreux théologiens et voyant se développer une tradition orale parmi les plus riches du Maghreb et une tradition poétique qui se perpétue jusqu'auxxe siècle, notamment à travers le grand poèteAbou el Kacem Chebbi8. On doit aussi en la personne d'Ibn Chabbat— de son vrai nom Abou Abdallah Ibn Ali Ibn Al Chabbat Al Touzri né en1221à Tozeur et mort le16— homme de lettres, mathématicien, poète, juriste (cadià Tozeur et précepteur à lamosquée Zitounade Tunis) mais surtout horticulteur et hydraulicien, la conception et la réalisation d'importants travaux avant-gardistes sur la culture dupalmieret l'amélioration notable d'un système de répartition des eaux qui fonctionne encore de nos jours dans plusieurs oasis du sud tunisien17. Son plan duxiie siècleest exposé au Musée des arts et traditions populaires de Tozeur. La cité se développe en dehors de sa palmeraie et connaît un grand essor économique jusqu'à son apogée auxive siècle. L'historienIbn Khaldounraconte l'activité importante que connaît Tozeur à cette époque :Pendant le Moyen Âge, la région de Tozeur est appelée « pays de Qastiliya » — nom mentionné par le célèbre géographe arabe Al-Bakri(1014-1094)14 — du fait de la succession de villages fortifiés appelés castella, ce qui transforme au fil du temps Tozeur et ses alentours en refuge pour divers dissidents (donatistes chrétiens, chiites et kharidjites)8. L'esprit contestataire des habitants, qui développent une identité forte, les poussent à fomenter une révolte menée par Abu Yazid durant douze ans contre le régime des Fatimides (935-947)8. Il fondent aussi des principautés indépendantes du pouvoir central qui finissent par être reconquises par les Hafsides8. Selon une autre approche plus mythologique qu'historique, le mot Qastiliya fait allusion à Qustal, fils de Sem[Qui ?] et petit-fils de Noé qui aurait fondé la ville après le déluge15.
« Tous les jours que Dieu fait, quelque mille dromadaires sortaient de la ville vers l'Afrique et l'Asie8. »
En 1730, le célèbre voyageur anglais Thomas Shaw (1694-1751), visitant Tozeur, signale l'importance commerciale de la ville à telle enseigne que les marchands locaux allaient jusqu'en Éthiopie pour chercher des esclaves au prix de deux ou trois quintaux tunisiens par esclave5. Tozeur reste une ville de destination ou de passage pour de grandes caravanes jusqu'au xixe siècle, époque où elle se replie sur la production de dattes. Elle est alors, selon le témoignage du comte du Paty de Clam qui l'a visité à la fin du XIXesiècle, la plus vaste, la plus importante et la plus belle oasis du Jérid5. Certains voyageurs européens, durant cette période, iront même jusqu'à indiquer que la ville de Tozeur était aussi grande que celle d'Alger5.
Alors que la municipalité est créée le 18, le développement des villes minières voisines de Métlaoui et Redeyef, vers les années 1950, voit la population de Tozeur diminuer.
Située au nord-ouest du Chott el-Jérid, elle se trouve à 450 kilomètres au sud-ouest de Tunis. Il s'agit de l'une des oasissituées aux portes du désert du Sahara. Tozeur est une ville avec un passé religieux important et connue pour ses lettrés comme sa topographie contemporaine, parsemée de marabouts, en témoigne.
Étymologie:
Le comte Auguste-Antoine du Paty de Clam (1856-1929), officier, administrateur des colonies, archéologue et membre de la Société de géographie de Paris passionné par l'histoire de la Tunisie4, a émis quatre hypothèses concernant l'origine du nom de Tozeur5. La première suppose que l'appellation existait déjà dans l'Égypte antique sous la forme de Tes-Hor signifiant « ville du soleil » et que les Grecs transforment plus tard en Apollonites ; une colonie venue de cette ville aurait peut-être repris la même appellation. La seconde hypothèse indique qu'il viendrait du nom de la pharaonneTaousert — signifiant en égyptien« la puissante » — et qui monta sur le trône après la mort de son mari Séthi II (pharaon de la XIXe dynastie et petit-fils du célèbre pharaon Ramsès II). La ville de Tozeur serait un hommage rendu par une colonie kouchite à cette reine qui fut la dernière représentante de la dynastie. Cette hypothèse est corroborée par le fait que l'architecture de Tozeur est caractérisée par l'usage de la brique en terre séchée au soleil puis cuite. Or, l'Égypte antique est connue pour avoir utilisé un tel savoir-faire dans ses constructions urbaines6.
La troisième hypothèse indique que le mot est une forme féminine berbère de l'adjectif « fort », Taouser, dont la forme signifierait « forte ». D'ailleurs, en 205 av. J.-C., le royaume berbère de Massinissa s'étendait jusqu'à cette ville. La dernière hypothèse suppose que le nom de la ville est l'une des figures du nom Utsuur, c'est-à-dire « celle d'Assur » ou « celle provenant d'Assur » car le nom de la ville serait un hommage rendu par une colonie assyrienne à leur patrie d'origine.
Quant au philosophe tunisien Youssef Seddik, il rejoint plutôt l'hypothèse d'une origine égyptienne antique du nom :
« Ne serait-on pas tentés de voir dans ce mot de Tozeur le très lointain écho d'une origine égyptienne antique de cette terre ? Le « T » étant [un] préfixe qui marque le lieu comme dans Thèbes, Tamazret, Tafilalt ou Tamanrasset, Ozeur ouOzir étant l'apocope d'Osiris, le dieu morcelé7. »